La nuit était transparente. Les étoiles resplendissaient comme les étincelles d'un feu de joie. Des parfums suaves flottaient dans l'air hivernal. Une merveilleuse douceur enveloppait toutes choses.
Abel, Heli et Joël, trois petits bergers, écoutaient émerveillés des chants célestes qui pénétraient leurs coeurs. Des anges proclamaient
" Hosanna, Hosanna
Paix aux hommes de bonne volonté.
Un roi de Gloire est venu jusqu'à vous !
Hosanna au plus haut des cieux !"
"Il faut y aller dit Heli, ce n'est pas tous les jours que l'on a l'occasion de voir un roi. Si je pouvais entrer à son service ce serait plus glorieux que de garder des troupeaux.
Tu abandonnerais tes moutons ? dit Joël, stupéfait.
" Certainement, si je pouvais faire quelque chose de plus important ! Et c'est peut-être l'occasion: quand un roi se déplace, il a toute une escorte avec lui. S'il pouvait m'enrôler, j'arriverais bien, petit à petit, à monter en grade et devenir un grand personnage.
- Et puis, dit Abel, un roi c'est quelqu'un de très riche. Ce serait peut-être la chance de faire fortune."
Joël regarda ses deux amis:
Les anges ont dit " un sauveur"; je voudrais savoir de quoi il vient nous sauver.
- De l'obscurité de notre vie, dit Heli, il nous apporte la puissance
- De la pauvreté dit Abel, il nous apporte la richesse
- Je ne sais pas, dit lentement Joël ils ont dit aussi : " Paix aux hommes de bonne volonté". Il vient peut-être nous donner la paix...C'est cela que je voudrais lui demander, mais je suis quelqu'un de bien trop petit pour oser parler à un roi !
C'est pourquoi, si nous y allons, reprit Heli, il faut nous faire bien voir.
J'emporterai ma flûte et je lui jouerai l'air que je sais le mieux; vous savez "la, la, la, la" Je le joue très bien. Il me prendra peut-être dans ses musiciens.
- Moi dit Abel, je lui apporterai mon plus beau fromage. Je comptais le manger demain, mais si je deviens cuisinier du roi, je gagnerai de quoi m'acheter bien d'autres choses.
- Moi dit Joël je lui dirai merci de nous avoir envoyé des anges. C'était si beau de les entendre. Je le lui dirai tout bas, dans mon coeur, car je n'oserai jamais parler à un roi de gloire.
Les trois bergers se mirent en route à travers la montagne. La nuit était si claire qu'ils cheminaient sans difficulté. Ils arrivèrent devant l'étable. La porte était ouverte car il y avait déjà d'autres bergers venus des collines voisines. Cela contraria Abel et Heli. Si le roi allait trouver quelqu'un de mieux qu'eux ! Ils se faufilèrent au milieu de la grotte, poussant un peu les uns et les autres, et ils s'arrêtèrent devant la crèche.
Ils étaient un peu déçus. Les anges avaint dit qu'il y avait un roi, c'était certainement vrai, mais ce petit bébé, dans la pauvreté de son berceau-mangeoire, n'avait rien de royal, et l'âne et le boeuf étaient de bien curieux courtisans !
Pourtant, comme il ne voulait pas se fier aux apparences et qu'il voulait aussi mettre toutes les chances de son côté, Heli tira sa flûte de son manteau et se mit à jouer.
Il jouait bien, très bien même, et tout en jouant il épiait l'impression que faisait la musique sur la mère et l'enfant.
Jésus dormait. Marie écoutait, la tête un peu penchée; quand Heli s'arrêta de jouer, elle lui sourit, d'un sourire un peu triste et dit: " C'est très joli cet air de flûte, je te remercie de l'avoir joué pour mon enfant.
- j'en connais beaucoup d'autres, dit Heli d'un air important, si le roi veut me prendre parmi ses musiciens je lui en jouerai qu'il aimera sûrement.
- la musique qu'il préfère c'est la prière, dit doucement Marie. Penses-y, berger. "
Heli se sentit gêné, il recula de quelques pas, laissant la place à Abel.
"Princesse, dit celui-ci j'ai apporté pour ton fils le plus beau de mes fromages. Je les fais moi-même et ce sont les meilleurs de la vallée. Si le petit roi veut me prendre à son service, je puis lui en faire chaque jour de nouveaux." L'enfant dormait toujours. "Il n'est pas venu pour être servi mais pour servir dit Marie en regardant le berger et elle ajouta: si tu veux servir mon fils, apprends à partager avec les pauvres, c'est ainsi que tu seras son disciple.
Abel baissa les yeux. Il lui semblait que la mère du roi lisait dans son coeur et il n'était pas très fier des désirs de richesse qu'elle y voyait. Il recula, lui aussi pour laisser sla place à Joël, mais celui-ci était resté près de la porte. Il regardait la crèche, l'Enfant qui dormait si confiant malgré le va et vient des visiteurs, le visage si bon et énergique de Joseph, la tendresse qui émanait de Marie.
Il sentait son coeur se dilater d'amour. Non, ce n'était ni la puisssance ni la richesse qu'apportait ce roi, tellement fragile et démuni, mais l'amour d'un Dieu proche de nous.
Parce qu'il n'avait rien, il comblait le coeur de joie et de paix comme l'avaient chanté les anges.
Le petit berger joignit les mains: " comme je voudrais m'approcher de ce petit roi, mais je ne suis rien pour mériter de le servir. Je puis tout au moins servir le plus humble de ses serviteurs."
Il sortit de la grotte. Près du mur poussaient des plantes sauvages. Il en cueillit une petite brassée et se glissant derrière Marie, il l'offrit à l'âne qui soufflait doucement sur l'enfant. L'âne parut satisfait et remua la tête. Marie se retournant à demi, prit alors dans ses mains un petit bouquet de feuilles.
"Approche Joël, dit elle doucement.
Joël s'approcha et se laissa tomber à genoux contre la crèche: son coeur déborda d'amour. L'enfant ouvrit les yeux et sourit et tandis que sa mère déposait à ses pieds un ravissant bouquet. Sur les tiges qu'avait cueillies Joël venaient de s'ouvrir de délicates fleurs: des roses de Noël, fleurs d'hiver qu'avait fait fleurir l'amour.
Jacqueline de Kersabiel